Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
S’entendre
Il y avait moins de monde, bien sûr, que pour les “histoires d’amour”, hier soir au Café Psy, au cours duquel nous avons parlé de la “traversée des catastrophes”. Mais les échanges n’en ont pas été moins riches pour autant. La catastrophe, littéralement “action de tourner ou action du chœur dans la tragédie grecque (strophe) vers le bas (cata)”, est ce qui s’abat et nous abat, nous jette à terre, qu’on n’attendait pas, et nous tient dans la souffrance : deuil, rupture, séparation, maladie, accident, fin de vie... Et le “chant” de cette souffrance, dont l’événement qui l’a déclenchée est passé dès qu’advenu, n’en finit pourtant pas, lui, de sitôt.
Il est assez vite apparu, plusieurs personnes ont pu en témoigner, que l’écoute de sa souffrance était primordiale pour traverser la catastrophe, ce qui faisait écho à la phrase inaugurale à notre échange : « si l’on souffre, ce n’est jamais par ce que l’on a créé, c’est pour ce que l’on tait » (Tina Jolas).
S’écouter, donc, quand tout nous pousse au contraire (qui n’a pas été le petit enfant en pleurs, s’étant fait mal, à qui l’on dit «ne pleure pas, ce n’est rien, allé regarde, je souffle dessus et c’est fini» ?) ; être écouté, pouvoir dire ou plutôt exprimer librement sa souffrance, car on n’a pas toujours le plein usage de la parole (on reste parfois, pour diverses raisons, “interdit” par ce qui nous arrive), et puis le corps parle lui aussi. Alors je préférerai toujours le mot entendre (littéralement “tendre vers”, donc porter son attention), comme si l’on se mettait au diapason, dans la vibration du chant de sa souffrance qui n’est pas toujours si audible, plutôt que le mot écouter, qui implique seulement les oreilles. Car, oui, on écoute avec ses oreilles, mais on entend de tout son être, et la souffrance se déploie dans tout le corps, pas seulement dans la parole.
Mais si entendre sa souffrance est primordial, cela ne suffit pas pour que la souffrance prenne fin. Il faut pouvoir valider sa souffrance, la reconnaître, et commencer ainsi à cheminer vers sa source. Car la souffrance ne finira jamais vraiment tant que la source qui l’irrigue est jaillissante en soi. Ce n’est jamais tant l’événement, que l’on associe souvent à la catastrophe elle-même, qui nous fait souffrir, que la source dont la catastrophe se fait le réceptacle, permettant une véritable résurgence de la souffrance passée. Que veut nous dire notre souffrance ? est la question qui nous permettra de la valider et la reconnaître, en orientant de fait notre attention en dehors de la catastrophe qui ne fait que nous renforcer dans notre souffrance. Une fois entendue et validée, il restera une troisième étape à franchir : réhabiliter ce qui a été à l’origine de notre souffrance et en faire partie intégrante de soi, combler la fracture ou les fissures d’où la source n’en finit pas de jaillir. Car, contrairement à ce qu’il est communément admis, l’oubli de ce qui a créé les souffrances les ravive ; l’oubli, ce silence qui gronde, de plus en plus bruyant, qui ébranle, dérangeant. On traverse vraiment la catastrophe, «on ne guérit d’une souffrance», comme l’écrivait si bien Marcel Proust dans Albertine disparue, «qu’à condition de l’éprouver pleinement». Et tout commence par le fait de s’entendre, donc de se poser. Pas toujours facile dans un monde qui valorise l’action jusqu’à l’hyperactivité, et participe activement à l’étouffement et donc à l’entretien des souffrances (voir à ce sujet l’étonnant film Sale môme, avec Bruce Willis). Mais, comme on dit, un homme averti en vaut deux, puis trois, puis quatre...
Je remercie les personnes qui ont bien voulu faire part de leurs expériences de traversée, et ont ainsi permis d’illustrer nos propos lors de ce Café Psy, ainsi que tous les participants pour leur écoute, je veux dire... leur entente !
Photo : la Loire, le mois dernier à Nantes, glacée, fracturée, et le soleil...
mardi 6 mars 2012