Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Les conflits : opinions ou vérités ?
J’avais choisi une phrase de Henri Laborit pour lancer les échanges — je n’ose pas dire les hostilités — du dernier Café Psy sur les conflits, où il nous dit que « l’avenir de l’espèce humaine tient dans la découverte de nouveaux rapports humains entre les individus » quand ceux-ci auront compris «comment ils émettent des opinions qu’ils croient être la vérité».
Cette phrase pose tout naturellement la question de la différence entre “opinion” et “vérité”, qui n’a pas manqué d’en déconcerter plus d’un, épreuve d’opinions qui s’est assez vite transformée en épreuve... de vérité ! Heureusement, nous avons su les uns et les autres préserver la convivialité propice aux échanges constructifs — un homme (ou une femme) averti en vaut deux, dit-on, et comme quoi les conflits ne sont pas une fatalité quand on y porte une certaine attention. Mais comment, en effet, ne pas se sentir attaqué si ce n’est offensé quand un interlocuteur émet un avis qui ne nous appartient pas encore (si jamais il peut nous appartenir un jour) et qu’il nous impose sans plus de retenue ? Comment ne pas être tenté de “contre-attaquer” ? En ne faisant pas comme lui, justement, et en émettant une “vraie” opinion plutôt qu’une assertion qui a toutes les caractéristiques de la vérité ; en sortant de ce rapport de forces qui ne peut aboutir qu’à la défaite de l’un au profit bien éphémère de l’autre en une sorte de guerre infinie, le perdant cherchant toujours à reprendre sa place au gagnant, dans une inversion de position trop révolutionnaire pour rétablir un certain équilibre — à moins qu’il ne choisisse de se soumettre ou se résigner, ce qui n’est pas mieux.
Une opinion est subjective (elle est émise par un sujet, un individu, c’est le “je” qui parle et lui seul, et en ce sens on pourrait dire qu’il y a autant d’opinions que d’individus, d’où la forme plurielle sans doute employée par Laborit) et elle est relative (à un sujet justement, c’est à dire à sa personnalité, son histoire, ses expériences, ses connaissances...), particulière et incertaine, donc, quand la vérité est objective (universelle, valable pour tous, au delà des subjectivités) et absolue (certaine, irréfutable à jamais, incontournable). L’opinion serait l’air quand la vérité serait un mur, et avouons qu’il est plus agréable de fendre l’air que de traverser un mur ! De là naissent les conflits, donc, de l’affirmation d’une vérité de la part d’un interlocuteur, quand celle-ci n’est pas absolument établie (et il y a si peu de vérités absolument établies, surtout quand il s’agit de vie quotidienne), en lieu et place de l’émission d’une opinion.
Il suffirait donc de “presque rien” pour apaiser les débats : que l’un au moins des interlocuteurs incarne et fasse preuve de subjectivité (“mon avis n’engage que moi et je ne cherche à l’imposer à personne, mais à en faire part en toute humilité”) et de relativité (“je dis ce que je dis depuis ma place qui n’est pas celle d’autrui, à partir de ce que j’ai vécu ou de ce que je ressens”), et de laisser tomber donc tout esprit de conviction (rappelons-nous que dans convaincre il y a vaincre, c’est à dire un rapport de forces en puissance). Et on peut faire encore mieux : inviter dans un second temps, après avoir montré l’exemple, son interlocuteur à le faire également (“puisque je t’ai fait part de ma “subjectivité”, fais-moi part de la tienne, et dis-moi quelle est ta “relativité”, depuis quelles expériences tu parles”).
Pas si facile. Non que ce soit difficile, mais nous avons tellement pris l’habitude, depuis des millénaires au moins, de la conviction (jusqu’à la guerre parfois) plutôt que de l’échange. Mais nous nous heurterons toujours à cette vérité (en voilà une !), si ce n’est psychologique, neurobiologique : un être qui se sent contraint se défend, quand il ne s’échappe pas ou ne se résigne pas. Donc cent fois sur le métier remettons notre ouvrage : subjectivité et relativité !
Photo : œuvre vue au MoMa de New York
mercredi 23 mai 2012