Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Couleur de la jalousie
Je garde de ce Café Psy consacré à la jalousie, qu’on ne connaît pas si bien quelque chose qu’on approche de trop près. Et qui n’a jamais rencontré ce sentiment si envahissant qu’il nous marque à jamais ? Les échanges n’en ont été que plus enrichissants, mais je vais m’attacher ici à en dégager des éléments essentiels de compréhension de la jalousie.
La jalousie n’est pas une preuve d’amour (au contraire de la confiance) mais de manque d’être impossible à vivre, car au cœur de la jalousie il y a toujours la crainte, permanente, d’une perte totale et mortifère (je pèse mes mots) : soi. On ne tient que par la présence de l’autre ou des autres, véritables échafaudages vivants. Et comment cheminer dans la vie si l’on est en permanence face à ce vide impensable, dans le risque d’effondrement de l’échafaudage auquel on est adossé, quand bien même cela relève de l’imaginaire ? Il est probable que notre organisation sociale tellement prééminente depuis deux mille ans en porte une large part de responsabilité («Malheur à l’homme seul !»), laissant certains d’entre nous dans une individualisation impossible même à imaginer, sans une peur extrême à laquelle succède une frustration suprême, celle de ne plus même se sentir vivant.
Manque d’être impossible à vivre, car si l’envie est simplexe, la jalousie est terriblement complexe, et cette complexité laisse augurer la violence de la souffrance exercée par la jalousie sur soi-même comme sur autrui. Si dans l’envie on désire simplement ce que possède, fait ou est l’autre, dans la jalousie on désire non seulement ce que possède, fait ou est l’autre, mais on désire également que ce qu’il possède, fait ou est ne soit désiré et désirable par personne d’autre que soi-même ! L’envie est d’un rapport à deux, si l’on peut dire, la jalousie d’un rapport à la totalité du monde ! La jalousie confronte la personne à un impossible pourtant vital : l’amour de soi et des autres que l’on finit toujours par haïr, le second ne pouvant même plus sauver le premier.
La jalousie n’est ni verte, ni noire, elle est. De toutes les couleurs, de toutes les ampleurs. Elle se contient, plus ou moins, selon les forces qui la régissent (internes) ou la contrarient (externes). Elle peut être longtemps invisible et puis surgir, telle une bête sauvage affamée, attendant tapie dans l’ombre avec d’autant plus d’impatience le moment propice, pour assouvir sa faim impossible à rassasier. En ce sens, Shakespeare a raison*, la jalousie est une dévoration.
Elle révèle un mal d’individualité qui implique le rapport aux autres en nous faisant toujours confondre l’autre et nous-même, car l’autre est censé combler ou colmater le manque d’être qui lézarde, fissure ou fracture notre individualité. Pour le jaloux, « les autres, c’est moi ! » Tellement, que « les autres n’existent plus, ne doivent plus exister en dehors de moi ! » C’est ce que j’appelle la jalousie active, qu’un instinct de dominance souffle et bouscule. Mais aussi : tellement, que «je n’existe plus, je ne peux plus exister en dehors des autres !» C’est ce que j’appelle la jalousie passive, qu’un instinct de soumission attise en sourdine. Tellement, enfin, que le “nous” formé alors est LE monde ! Tellement, que « le monde, c’est nous ! », et ne doit exister en tant que tel « ni en nous ni en dehors de nous », mais existant, quoi qu’il arrive, se montre menaçant en permanence. La jalousie est un monde interdit de solitude (y compris la solitude à deux qu’on appelle l’amour) que la multitude menace forcément, car soi comme autrui en sont indissociables.
Mais la jalousie ni ne comble ni ne colmate, elle ne fait que chercher à compenser ce manque d’être qui confine au néant, et ce faisant, accroît ce qu’elle redoute. C’est comme si l’on cherchait à étancher notre soif en versant le breuvage salvateur à côté de notre bouche, excitant d’autant la soif sans plus la satisfaire.
Il ne faut ni rassurer ni provoquer les jaloux, mais se tenir là, simplement, dans notre propre individualité, dans un rapport de mutuelle réciprocité, leur donner l’exemple et les renvoyer paisiblement à leurs chères études : eux-mêmes. Encore faut-il, bien sûr, ne pas être un tant soit peu jaloux soi-même. Le jaloux longtemps le refusera. Le jaloux actif étendra son pouvoir sur les autres jusqu’à les enfermer, ira jusqu’à offenser, agresser, car seul lui peut donner l’exemple ! Jusqu’à se sentir de nouveau seul, à deux ! («Ni avec toi ni sans toi !») Il faudra alors savoir prendre la fuite, à moins d’être dévoré soi-même vivant. Mais peut-être saura-t-il enfin tirer parti de cette énième expérience. Car on ne peut vivre qu’avec et au milieu des autres.
* « La jalousie est un monstre qui s’engendre lui-même et naît de ses propres entrailles [...] un monstre aux yeux verts qui produit l’aliment dont il se nourrit. » (Othello)
Photo : Le centre de traitement de données de Google, à Douglas County (Géorgie). Photo Connie Zhou / Google
jeudi 24 janvier 2013