Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Solitude
« La solitude ça n’existe pas » martelait quatre fois d’affilée avec fougue Gilbert Bécaud, dans les années 70. Bien sûr, cela ne trompait personne. Pour le chanter et le marteler si fort, il fallait bien que la solitude l’effrayât, comme nous tous autant que nous sommes. La méthode Coué est parfois le symptôme même ! Mais le chanteur, qui est un peu poète, a peut-être bien raison, car on n’a jamais aussi peur que de ce que l’on méconnaît. Et, de fait, ce que l’on méconnaît ne peut pas vraiment exister à nos yeux ! Car quels êtres humains ont délibérément fait l’expérience de la solitude, avant qu’elle ne s’impose à eux-mêmes ? À part les ermites ? Pas facile, en effet, quand notre instinct grégaire, inscrit dans nos gènes, dans notre patrimoine neurobiologique, nous lie indéfectiblement à nos congénères ! Il faut être quitté alors, rejeté, abandonné, marginalisé, mais que c’est difficile d’apprendre à nager au moment même où l’on fait naufrage ! Comment se sentir bien, seul, quand on n’a pas appris la solitude ?
Est-ce bien la solitude, d’ailleurs, qui nous fait si peur ou tant souffrir ? Comment expliquer alors que l’on puisse se sentir seul même quand on ne l’est manifestement pas ? Car on n’attend pas seulement de l’autre qu’il nous tienne compagnie, on attend de l’autre qu’il nous aime, qu’il nous reconnaisse, encourage, estime, respecte, entraîne avec lui... Quelle déception quand cette attente n’est pas satisfaite, et quel sentiment d’isolement quand cette insatisfaction est récurrente ou durable !
Peut-être devrions-nous alors nous demander d’où vient ce besoin de passer par autrui pour atteindre certaines satisfactions, et faire en sorte d’y remédier. Et peut-être alors nous sentirions-nous moins seul. Peut-être aussi aurions-nous la possibilité de mieux traverser les moments de solitude inévitables (ruptures, deuils ou rejets de toutes sortes). Le mot “séparer” ne signifie-t-il pas littéralement “faire naître à soi” ?
Le philosophe Jacques Rancière, participant il y a quelques années à une expérience d’un collectif d’artistes dans une banlieue dite sensible, eut cette phrase : « des liens sociaux, il y en a trop — ce qu’il faut réveiller, c’est la possibilité d’être seul ! » Et une possibilité n’est pas une obligation, c’est une liberté, parmi d’autres. Peut-être souffrons-nous, en effet, de trop de liens, et quand ils viennent à manquer, sommes-nous défaits. Nous ne savons pas voler de nos propres ailes. L’être humain est un être grégaire et solitaire, les deux ensemble : pas de génie sans singularité ! C’est cette « corde tendue au dessus de l’abîme », en en rapprochant les deux pôles (grégarité et singularité), qu’il convient de relâcher. Et pour les mammifères que nous sommes, « la solitude c’est le programme » comme le disait si bien la célèbre psychanalyste Melanie Klein. La solitude (c’est à dire, la possibilité d’être seul) n’empêche ou n’interdit aucunement la vie en société, bien au contraire.
Photo : le célèbre chat Pollock, qui siège tout seul derrière sa fenêtre, pas très loin de mon cabinet à Paris...
mercredi 23 octobre 2013