Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Surdon
Un don est ce qui nous est donné, que rien ne peut reprendre. Par qui ? On ne sait pas. Par la nature, dirons-nous, si elle existe. Ce qui est sûr, c’est que nous avons tous, autant que nous sommes, un certain nombre de dons. Que l’on vit plus ou moins, et plus ou moins bien. Quand on les vit à plein ou presque, et gaiement, on appelle cela le talent. Il faut du courage, de l’affirmation, pour le mettre à jour. Cela peut même confiner au génie. C’est très rare. Est-il possible d’aller au-delà du génie ? Auquel cas pourrait-on certainement parler de surdon ? Là non plus, on ne sait pas. Et en quoi un don poussé à l’extrême, alors, ferait-il souffrir ?
Car ceux que l’on appelle les surdoués, à tort, souffrent, en proportion, plus que ceux qui ne le sont pas. Mais ceci explique peut-être cela : les affublant à tort, donc, d’un surnom qui ne leur correspond pas, ou même les ignorant, ils souffrent. Tout d’abord du regard des autres, qui se trompent en les regardant ainsi, et bientôt de leur propre regard qu’ils apprennent trop bien des autres depuis leur toute petite enfance, tellement ils sont perméables à leur environnement. Ensuite, en ne devenant pas ce qu’ils sont : différents, atypiques. Car oui, ils sont différents, ou plutôt ils ont un mode de fonctionnement (autrement dit un don caractéristique) très différent de la grande majorité de la population humaine. Et ils ont ainsi vite fait de passer pour des drôles de zèbres, car la harde humaine n’aime pas trop qu’on s’en écarte, instinct grégaire oblige !
Mais quel est donc ce mode de fonctionnement si différent, si atypique ?
Il relève de deux ordres, aussi bien irréversibles (il ne sert à rien de lutter contre) qu’ils sont indissociables (il n’y a pas à choisir entre l’un ou l’autre) : intellectuel ET émotionnel.
Ainsi, le mode de fonctionnement intellectuel des zèbres s’exprime par une pensée en arborescence ou éclatée au lieu d’être linéaire ou centrée (le petit vélo dans la tête qui n’arrête pas de tourner, qui tourne et vire comme dans un labyrinthe, et qui finit par envahir tout l’espace mental tels les gribouillages surchargés d’un enfant de trois ans sur une feuille de papier blanc). Ce mode de fonctionnement s’établit à partir d’une transmission neuronale beaucoup plus rapide et beaucoup plus étendue dans le cerveau, avec un déficit de l’inhibition latente (capacité à trier et hiérarchiser les informations, et les zèbres ne font pas dans la dentelle !) : imagination désopilante, créativité débridée, éclectisme erratique, mais aussi remise en question permanente, grande difficulté à faire des choix, surmenage intellectuel, en sont quelques signes caractéristiques.
Leur mode de fonctionnement émotionnel, quant à lui, est exacerbé et chaotique au lieu d’être mesuré et régulé. Il prend sa source dans la suractivité de leurs amygdales limbiques (le cœur émotionnel du cerveau), celles-ci faisant barrage alors à l’activité du cerveau préfrontal, censé à la fois réguler les émotions et trier les informations et les réflexions : passion effrénée, engagement sans faille, fort sentiment d’absolu, mais aussi hyperémotivité, hyperesthésie (perception intensive des cinq sens), synesthésie (association involontaire de plusieurs sens), empathie débordée, en sont quelques expressions là aussi caractéristiques.
Et comme ces deux modes de fonctionnement atypiques sont indissociables l’un de l’autre (que pourtant la plupart des zèbres essaient de dissocier pour gérer leurs difficultés), ils résonnent d’autant mieux entre eux dans un concert souvent assourdissant.
Rien de bien psychologique donc dans tout cela, au départ, mais plutôt de neurobiologique. La psychologie et la souffrance qui va avec suivent et s’accumulent avec les années (parfois très tôt), l’éducation, la morale, la culture, les mauvaises expériences, creusant le malaise et le sentiment de décalage des surdoués, parce qu’on ne leur apprend pas à vivre comme ils sont, mais à se conformer au mode de fonctionnement de la grande majorité d’entre nous, les vouant alors à un isolement et à un sentiment de malheur inexorable.
Mais comment faire si “l’on ne peut rien y faire” ?
S’accepter tel qu’on est, se connaître et se reconnaître, apprendre à redécouvrir et apprécier les avantages de ce mode de fonctionnement atypique, en intégrer les inconvénients, se le réapproprier ; apprendre notamment à mieux solliciter son cerveau préfrontal (il est inusable, même si l’on en use !) afin de réguler un tant soit peu ses émotions débordantes, hiérarchiser ou nuancer ses pensées et porter son attention à chaque moment présent, à la façon de Montaigne (« quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors»)...
Ce n’est pas parce que les surdoués sont trop intelligents qu’ils souffrent — on souffre plutôt de bêtise, c’est à dire de ce que l’on tient pour vrai et qui ne l’est pas, comme le disait si bien Mark Twain —, mais parce qu’ils ne sont pas assez ce qu’ils sont. C’est cette bêtise-là qu’il leur faut réparer (littéralement “faire naître à nouveau”), la leur comme celle des autres. Celle qui les tient pour bizarres alors qu’ils ne sont que différents ; celle qui les ignore ou les oublie ; celle qui les nie.
Au fond, s’ils sont bel et bien différents, les surdoués sont comme tout le monde : on n’est jamais aussi heureux que lorsqu’on peut être soi-même. Pour eux, justement parce qu’ils sont différents de la grande majorité d’entre nous, la marche est seulement plus haute à gravir, le gué plus large à traverser. On peut les aider, sans jamais perdre de vue que le zèbre est un indompté. Il faut savoir le laisser gambader.
« Si l’on souffre, ce n’est jamais par ce que l’on a créé, c’est pour ce que l’on tait. » Tina Jolas
Photo : les 3 zèbres, derrière le bar du 1er étage au Flesselles à Nantes... Surdoués ou seulement éclairés par le Café Psy du lundi 18 novembre 2013 ?
vendredi 22 novembre 2013