Un Psy et Coach à Nantes
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes
Frédéric LE MOULLEC
Rationnel
Est rationnel ce qui est noué, fixé, assemblé, établi, et notamment ce qui est fixé dans la pensée, cette grande spécialité humaine nullement due au hasard (encore que) : nous avons les fonctions cognitives les plus développées de toutes les espèces vivantes (pourquoi ? mystère et boule de gomme ou presque !), et comme il est facile d’en user, nous en abusons. Nous pensons trop, mais surtout nous pensons trop de manière fixe ou fixée, autrement dit de manière rationnelle. Ne soyons pas dupes de nos qualités et surtout de leurs limites : si la rationalité nous permet de prendre appui ou de saisir, de comprendre, de contrôler (quoi ? cela reste à fixer justement), de maîtriser, elle ne nous permet pas de nous adapter à ce qui nous dépasse ou à ce qui est mouvant (à moins de lâcher ce qui est déjà fixé dans la pensée, en se montrant... irrationnel !), l’autre au sens large (tout ce qui se situe en dehors de soi) et la vie même donc : « rien de stable ne se saisit ».
Non seulement l’être humain, comme tout être vivant, est rationnel en ce sens qu’il est établi dans un écosystème où il tient son rang, mais il voudrait n’être que cela en s’imposant à cet écosystème et en renversant le processus biologique qui est à l’œuvre, en cherchant à établir l’écosystème dans son humanité et en maîtrisant toutes ses capacités. Peine perdue, nous nous dépassons nous-mêmes, nous devenons ; nous sommes, c’est indéniable, mais nous devenons ; et plus nous cherchons, par exemple, à retenir ou contenir nos émotions et plus elles nous débordent, ce qui a toujours lieu de nous effrayer car nous sommes alors débordés, nous ne pouvons plus rien maîtriser.
Pas rationnelles les émotions ? Oh que si ! Elles sont bel et bien fixées dans notre matière neurobiologique (réseaux neuronaux du système péri-ventriculaire pour les émotions de fuite et de lutte, réseaux neuronaux du système inhibiteur de l’action pour les émotions d’inhibition, réseaux neuronaux du circuit de la gratification et de la récompense pour les émotions d’activation de l’action). Et c’est bien parce qu’elles sont (si) rationnelles qu’on ne peut les retenir ni les contenir, qu’elles s’imposent à nous. Et pourtant elles ne sont pas stables, en ce sens qu’elles vont et viennent au gré des situations que nous traversons. Mais qu’est-ce qui les fait bouger, les déstabilise si elles sont fixées ? Nos pensées : les manières toutes personnelles dont nous percevons, interprétons les situations que nous traversons en fonction de ce que nous avons déjà fixé dans nos pensées par notre culture, notre éducation, notre expérience. Nous croyons nos émotions irrationnelles alors que ce sont nos pensées qui le sont en étant rationnelles ! Nos émotions nous permettraient de nous adapter à notre environnement, si nous ne pensions pas ou plutôt si nous ne pensions pas aussi rationnellement, de manière aussi fixe !
En poussant la rationalité à son comble, en la généralisant, nous devenons donc irrationnels, nous ne nous adaptons plus au réel qui nous entoure, à ce qui advient, et qui est mouvant, qui n’entrera jamais en cohérence avec ce qui est fixe ou fixé. Les êtres rationnels que nous sommes ne peuvent entrer en cohérence avec leur environnement qu’en usant de leurs qualités irrationnelles : l’ouverture, l’incertitude, la liberté, de dire oui comme de dire non, par exemple, de choisir ce qui est bon pour soi... La fin (les rêves, les espoirs, les idéaux, les objectifs, les volontés, les exigences, les attentes) justifie les moyens (les compétences, les savoirs, les connaissances, les conduites, les techniques, les sacrifices, les changements), mais pas plus que : les moyens (ce que nous sommes fondamentalement) justifient la fin (ce que nous devenons). Nous sommes des roses.
Le rationnel et l’irrationnel sont les deux pôles d’un corps plus vaste qu’on appelle la vie. N’oublions jamais que nous sommes des êtres de vie.
Photo : « La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit,
N’a pour elle-même aucun soin, — ne demande pas : suis-je regardée ? »
jeudi 11 juin 2015