Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Sur la route
L’inquiétude d’être au monde ne se contourne pas, elle se traverse. Qui n’a jamais été ou ne sera un jour rattrapé par la peur de la mort, de la solitude, du risque de décider de sa propre vie ou de l’absurdité de son existence ? Parfois même, ces peurs s’immiscent l’air de rien dans les situations les plus anodines de notre vie quotidienne. Quand elles ne surgissent pas aux plus mauvais moments : quand nous y sommes réellement confrontés (décès d’un proche, séparation, choix de vie qui s’impose, démotivation soudaine). C’était là tout le thème du dernier Café Psy, que nous n’avons bien sûr pas eu le temps d’épuiser et que j’avais choisi de placer sous l’égide de la phrase de Pascal Quignard : «L’homme doit regagner l’imprévisible comme sa patrie».
Notre façon la plus fréquente de réagir à cette inquiétude d’être au monde, donc, le contournement, et selon 2 modes:
1.le déni, appelé encore la “sagesse du fou” (on n’en parle pas, on fait comme si ces peurs n’existaient pas, on se rassure comme on peut en s’engageant dans des occupations pouvant tourner à l’obsession, en abusant de consommations en tous genres, etc.) ;
2.la résignation, appelée encore la “folie du sage” («c’est comme ça, je n’y peux rien, c’est terrible mais c’est la vie et je n’en ai qu’une»).
Les signes qui ne trompent pas : hyperactivité, addictions, phobies, anxiété chronique, passages à l’acte, burn-out, déprime, etc. Et dans les deux cas, on cherche à se consoler, et comme l’écrivait si bien l’écrivain suédois Stig Dagerman, en toute connaissance de cause, «notre besoin de consolation est impossible à rassasier». Tant que nous n’affrontons pas nos peurs, tant que nous ne les regardons pas en face !
On peut se demander si ces 4 grandes peurs existentielles (la mort, la solitude, le risque de choisir sa vie, l’absurdité de son existence) préexistent ou si elles ne sont pas les produits assez naturels de notre cerveau. Car notre cerveau présente spontanément 3 défauts (d’incertitude, d’imagination, de confiance) que ces 4 grandes peurs, toutes en effet, peuvent révéler :
•La mort, en nous renvoyant à notre finitude dans un monde infini, qui continuera donc sans nous (quelle injustice !), et en s'immisçant dans ce que nous croyons être son contraire, la vie, éprouve nos capacités à relativiser et à nuancer les choses, les deux mamelles, si je puis dire, de l’incertitude ;
•La solitude, en nous renvoyant à notre condition d’individu à part entière existant en dehors du groupe alors même que nous en dépendons en tant que mammifère (c’est à dire “être grégaire, vivant en groupe”), éprouve nos capacités à nous responsabiliser (savoir pour quoi nous faisons les choses et être à même d’en répondre) et à nous individualiser (assumer nos responsabilités, faire preuve d’opinion, savoir dire “je” face au “nous” ou au “ils”), qui sont les deux mamelles de la confiance ;
•Le risque de choisir notre propre vie, en nous renvoyant non seulement à la confiance que nous nous faisons, mais également aux contraintes, c’est à dire aux règles (extérieures : sociales, familiales, culturelles, mais également naturelles) que nous devons intégrer pour pouvoir vivre notre propre vie, sans être obligé de fuir le monde, éprouve, outre nos capacités à nous responsabiliser et à nous individualiser, donc, nos capacités à nous ouvrir et à composer avec ce qui nous entoure et que nous ne pouvons choisir, soient les deux mamelles de l’imagination;
•L’absurdité de notre existence, en nous renvoyant principalement aux raisons réelles de notre présence sur cette terre, dont nous ne pouvons être absolument sûrs tellement cela nous dépasse, éprouve nos capacités à relativiser (et si notre existence n’avait aucun sens, si ce n’est cette absence de sens ? et si notre existence était aussi simple que vivre instants après instants, serait-ce si absurde ? sens et non-sens, deux en un ?) et à nous responsabiliser par rapport à cette relativité qui, bien que presque dépourvue de toute certitude, n’est pas rien (la comprendre, c’est à dire littéralement la prendre avec soi pour en faire quelque chose) et ne justifie en aucune façon de rouler à tombeau ouvert, comme certains ont pu et peuvent encore le faire. L’incertitude et la confiance font si bon ménage.
Pour autant, si notre cerveau présente spontanément ces 3 défauts (d’incertitude, d’imagination et de confiance), il possède également en miroir les capacités, spécialement humaines, grâce à sa partie préfrontale, de les combler. Ce sont là nos 3 défis, au fond : regagner l’incertitude (l’imprévisible comme l’écrit Pascal Quignard), développer notre imagination, nous faire confiance. C’est sur l’exercice de cette pratique en 3D que nous devons nous concentrer pour traverser l’inquiétude d’être au monde.
Traverser l’inquiétude d’être au monde, en somme, c’est rester sur la route de la vie. Ni chercher des chemins détournés et s’y perdre, ni s’arrêter sur le bord et ne plus bouger, autant dire déjà mourir un peu. C’est ce que l’on peut appeler aussi l’art de vivre en suspension, c’est à dire dans l’ambiguïté de notre double condition, à la fois humaine et animale, un pied sur chaque rive de notre condition ; entre naissance et mort, solitude et multitude, contraintes et libertés, absurdité et sens. En relevant les défis de l’incertitude, de l’imagination et de la confiance.
Photo : Un soir d’octobre, sur la route qui va vers l’Ouest lointain...
mercredi 17 octobre 2012