Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes et Paris
Frédéric LE MOULLEC
Addiction
Une addiction raconte toujours l’histoire très subjective, plus ou moins fictive mais bel et bien réelle, d’une personne individuelle traversant la vie. Comment saisir le fil de ce véritable roman autrement qu’en portant attention à son “personnage principal” ?
« Addictus en latin désignait l’esclave pour dettes », nous rappelle Pascal Quignard. Oui, c’est bien par son addiction que l’individu cherche à préserver comme il peut — à régler — son existence et son intégrité, son “indivision d’individu” pourrait-on dire. Pour être, et ainsi continuer à vivre, en survivant et en attendant mieux : l’émancipation. Car, nous rappelle aussi Pascal Quignard : « Être “émancipé” signifie être “sans addiction” ». L’addiction n’est donc pas un problème mais plutôt une solution, trop extérieure et indirecte, trop précaire et temporaire pour vraiment satisfaire celui qui en jouit avant bientôt d’en souffrir aussi ; tout au moins le signal — le symptôme, dit-on — par lequel se révèlent et se retrouvent la nature de la dette — le manque, le vide en soi — et son créditeur (la plupart du temps une partie de soi-même restée dans le passé), que le supposé débiteur (le même, l’addictus) cherche à rembourser à travers l’addiction, sans vraiment le savoir : “qu’est-ce que je cherche à rembourser ainsi et à qui ?”, devrait se demander l’addictus.
Le problème n’est donc pas là où on le pense, il est ailleurs, bien en amont de ce qui s’exprime, dans l’autre sens, en remontant le cours de l’addiction. C’est pourquoi il faut toujours écouter et respecter l’addiction avant de vouloir la faire disparaître coûte que coûte. L’addiction est impitoyable quand on ne l’entend pas, qu’on l’ignore, qu’on la combatte ou qu’on la raisonne, car elle est le moyen par lequel on survit. Il n’y a plus rien derrière, qu’une autre addiction, si c’est possible, ou la dépression.
Il y a autant d’addictions que d’individus. Une addiction est toujours singulière même si elle est plurielle. C’est pourquoi il ne faut jamais la dissocier de la personne qui l’éprouve. Mais, quelle que soit la personne, elle repose toujours sur le même principe (elle compense, mais ne le comble pas, un manque, un vide en soi et par soi) et elle peut relever de deux ordres différents (psychique et/ou biologique).
Les addictions ne sont pas cantonnées aux seules drogues, à l’alcool ou à la cigarette (les plus graves quand elles sont psychiques et biologiques). Mais sommes-nous tous pour autant “addicts” ? Oui, probablement. Tout au moins l’avons-nous forcément été, plus ou moins, durant la première moitié de notre vie (comment (sur)vivre sinon avec nos vides, nos incapacités criantes, nos fractures psychiques ?), la crise du milieu de vie sonnant probablement le glas de nos addictions en nous laissant las (elles ont alors atteint leurs limites). L’objet peut en être le sport, le travail, le sexe, la nourriture, la perfection, l’ordre, la maîtrise, les jeux, les vêtements, les chaussures... Le plus célèbre en est... l’amour ! Tout, absolument tout, peut y passer. Même la psychothérapie et le développement personnel ! Qui n’a pas fait sa crise du milieu de vie ? Qu’on en juge : envie impérieuse et irrépressible de quelque chose (ou quelqu’un !) doublée d’anxiété par peur du manque éventuel (et même quand le besoin ou le désir est assouvi) ; insatisfaction presque permanente ou récurrente (syndrome du “jamais assez”) ; pensée obsessionnelle pour l’objet de l’addiction ; colère, impatience, rancœur, amertume, déprime, détresse ou dépression en cas de manque réel et prolongé.
L’addiction est une manifestation à sens unique à partir duquel il faut trouver le double sens, celui dans lequel la personne ne peut pas encore aller et qu’il lui faudra pourtant ouvrir et emprunter pour vivre et non plus seulement survivre. Au fond, ce n’est “que” cela appréhender une addiction : passer d’une route à sens unique à une route à double sens, sans panneau d’interdiction aucun de faire demi-tour.
Photo : que nous arrivera-t-il si nous croquons la pomme ? Est-ce parce que nous croquons la pomme que nous avons des manques ou est-ce parce que nous avons des manques que nous croquons la pomme ? ...Même quand nous n’avons pas faim !
mardi 26 mars 2013