Un Psy et Coach à Nantes
Frédéric LE MOULLEC
Un Psy et Coach à Nantes
Frédéric LE MOULLEC
S’ennuyer
Ce qui est odieux est ennuyeux. L’ennui que l’on éprouve aujourd’hui porte encore en lui tout le tribut que lui a laissé la locution latine qui l’a ainsi baptisé en son temps : in odio esse, autrement dit “être dans la haine de”. À bien y regarder, oui en effet, à chaque fois que l’on s’ennuie ou que l’on est ennuyé par quelque chose, on est dans la haine de ou tout au moins dans le non-amour réactionnel de (légèrement belliqueux) ou le refus de (légèrement méprisant). Ce n’est pas si grave, c’est juste ennuyant. Encore que : on pourrait dire que l’ennui est le contraire de l’amour, et comment vivre, mais vivre vraiment, sans aimer? Sans être porté, soulevé, par ce qui nous tient à cœur ?
Si l’on s’ennuie trop souvent, donc, c’est peut-être bien que l’on ne fait pas assez ce que l’on aime (qui n’est pas “aimer ce que l’on fait” !) ; que l’on cherche trop à s’adapter à la vie plutôt que d’adapter notre vie à ce que nous sommes. On aura alors à trouver ce que l’on aime faire, comment on aime vivre, et surtout comment réserver un espace suffisant et inviolable à cette chose-là, étant entendu qu’une vie est aussi faite de nécessités ou obligations, autrement dit de choses que l’on n’aime pas spécialement.
Car si l’on s’ennuie trop souvent, c’est peut-être bien également que notre “haine de” ou notre “non-amour réactionnel de” ou notre “refus de” a pris trop de place dans notre esprit, que l’on a du mal à aborder le monde tel qu’il est ou ce qui nous arrive tel que c’est, par excès d’égoïsme...altruisme ou encore de jugement, négatif comme positif d’ailleurs.
Ce n’est pas un hasard si ce sont les enfants et les adolescents qui s’ennuient le plus souvent : leur expérience est encore trop réduite, leurs goûts encore trop grossiers, leur égo et leur jugement encore trop fermés ; et même si les adultes eux aussi n’en sont pas exemptés (j’entends souvent la plainte de l’ennui dans mes consultations). Aimer ou tout au moins accepter demande du temps ou du recul (nous en avons de moins en moins) et de la répétition («nous ne supportons plus la durée ») : « pour que vous aimiez quelque chose, il faut que vous l’ayez vu et entendu depuis longtemps », disaient justement les Surréalistes, nous gratifiant d’un « tas d’idiots » final provocateur, qui pourrait bien nous ennuyer !
Est-il nécessaire de s’ennuyer, alors ? Sans doute pas, mais est-ce évitable ? Serions-nous à ce point des êtres si parfaits, si bien élevés, que nous ne serions dépositaires d’aucun refus de quoi que ce soit qui un beau jour s’imposerait à nous ? Serions-nous si expérimentés que nous n’aurions plus rien à apprendre sur nous-mêmes, sur ce qui nous fait vivre ? Si nous ne sommes pas ces êtres si parfaits, alors oui, on pourrait dire que s’ennuyer est nécessaire pour... ne plus s’ennuyer ! Ou pour vivre pleinement.
On ne peut sûrement pas tout aimer, mais entre aimer et “ne pas être dans la haine de”, autrement dit “accepter sans aimer”, il y a une marge dans laquelle il est non seulement possible mais probable de s’inscrire. Cela passe par une remise en question de nos propres opinions, par une critique de notre jugement établi depuis longtemps et encouragé par nos petites et grandes communautés. Et bien sûr, ce n’est pas toujours facile, mais qui a dit que ça devait l’être ?
Mais à chacun de choisir, finalement : s’exposer à l’ennui en évitant ou refusant tout ce que l’on n’aime pas ou féconder l’ennui en acceptant ce que l’on n’aime pas ? Sans jamais oublier, faut-il le rappeler, de s’adonner suffisamment à ce qui nous fait vivre pleinement.
Photo : un début de journée vacant
lundi 20 avril 2015